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Et si la verticalité avait une histoire ? Dans la perception occidentale du monde en trois dimensions, la montagne joua un rôle déterminant. Celui-ci s’affirma à partir de la Renaissance, lorsque les Alpes et les Andes virent défiler des dizaines de milliers d’individus, simples mercenaires comme princes ou même rois, qui rêvaient de conquêtes à la hauteur de celles d’Alexandre et d’Hannibal.Parce que la montagne est « scabreuse, pierreuse, montueuse, infertile, mal plaisante à l’oeil, très difficile aux pieds », comme l’écrit Rabelais, elle s’éprouve jusque dans la chair. Elle est le lieu de l’initiation, de la conversion et de la transfiguration. Loin d’être le territoire du retard et du barbare que l’on prétendait, la montagne fut surtout le lieu du dépassement, de la réformation de l’oeil et de l’esprit, qui participèrent de l’élan de la Renaissance. La verticalité traversée et vaincue devint un état d’esprit fait d’audace, d’ambition et d’innovation. Ainsi François Ier, ébloui d’avoir su « trancher les monts » en y conduisant chevaliers et canons avant de triompher à Marignan, ou Cortès, ordonnant de faire l’ascension du Popocatépetl avant de prendre Mexico.Selon l’usage que les souverains ou les peuples en firent, la montagne fit saillir des identités nouvelles, elle façonna les imaginaires, contribua à modifier les pratiques et les cultures politiques de l’Europe moderne. Et les montagnards naquirent pour eux-mêmes, défendant leur territoire face aux sarcasmes des hommes des plaines. Du légendaire Guillaume Tell au chevalier Bayard, de l’amazone Philis de la Charce aux fées francoprovençales, la montagne devint un territoire revendiqué et valorisé, forgeant des « identités verticales », tant chez les redoutables Suisses que chez les équivoques ducs de Savoie, qui la déclinèrent en poèmes et en somptueux ballets de cour.En faisant cheminer l’homme entre ciel et terre, entre arêtes et précipices, entre effondrement physique et extase mystique, la verticalité de la montagne est en soi un chemin « montant descendant », susceptible de transformer l’homme en profondeur. Elle s’impose à nous comme une magnifique allégorie de la Renaissance, sinon de la vie elle-même.