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Portrait tissé, portrait en tapisserie: l’association des deux termes est inattendue. On craint d’avoir affaire à un oxymore avancé au hasard, à une somme de contradictions. Ce serait la rencontre forcée entre un genre tourné vers la description naturaliste et un médium visuel caractérisé par des principes décoratifs et utilitaires. En tant que pratique sociale à l’époque moderne le portrait puise sa légitimité dans la sécularisation croissante des sociétés et des cultures européennes. Il se greffe sur l’intérêt accordé à l’histoire des individus dans leur existence terrestre, tandis que la tapisserie depuis ses origines fonde son attrait sur les histoires fantastiques qu’elle illustre pour faire prier ou rêver. Le portrait rattache le spectateur directement au monde, la tapisserie l’aide à s’en détacher. Certes la poétique de cour sert un discours de fondation familiale et de légitimation historique, aux enjeux de pouvoir bien concrets et le plus souvent sanglants, comme dans les tentures à sujets troyens des XIVe et XVe siècles, mais l’allusion généalogique n’est pas envisagée comme un obstacle à l’imagination. Les portraits tissés à l’époque de la Renaissance participent à l’avènement d’une nouvelle sensibilité historique, nourrie de témoignages pris sur le vif, et supplantent un « art de mémoire » et ses figures-types. La présence de personnalités contemporaines dans les tentures dut sembler aussi naturelle que de les voir peupler les enluminures, les retables et les vitraux: l’aura ancien de la tapisserie se trouvait amplifié par l’aura du genre nouveau du portrait. Plusieurs circonstances et facteurs aident à comprendre pourquoi la tapisserie fut adoptée comme support du portrait au cours des siècles. Les études de cas réunies dans ce volume permettent d’évoquer plusieurs des étapes significatives du développement du portrait tissé, de la fin du Moyen Âge à l’entre-deux-guerres.